GÉRAUD BÉNECH interviewé par LE FIGARO vous parle de MAIS DU SOLEIL QUE RESTE-T-IL ? D’APRÈS MAURICE GENEVOIX

26 Nov 2021

GÉRAUD BÉNECH interviewé par LE FIGARO vous parle de MAIS DU SOLEIL QUE RESTE-T-IL ? d’après MAURICE GENEVOIX

Maurice Genevoix et sa Grande Guerre sur les planches
Interview de Géraud Bénech
Par Isabelle Schmitz

Le théâtre de la Contrescarpe présente jusqu’au 2 janvier 2022 Mais du soleil que reste-t-il ?, une pièce inspirée de l’œuvre de Maurice Genevoix sur la Grande Guerre. Théâtre de la Contrescarpe

INTERVIEW – Habité par le sentiment d’une dette générale de la France envers ses poilus, Géraud Bénech a adapté sur scène deux œuvres du Goncourt 1925, Les Éparges et La mort de près. Il en sort un spectacle puissant, Mais du soleil, que reste-t-il, dont on sort remué jusqu’à l’âme.

LE FIGARO. – Pourquoi avoir voulu montrer la Première Guerre au théâtre ?
Géraud BÉNECH – La littérature et le théâtre en particulier ont toujours entretenu, et ce dès les origines, un rapport étroit avec le récit de la guerre, au croisement du tragique et de l’épique. Et la « Grande Guerre », comme on l’appelle, a été un climax tragique pour tous ceux qui en ont fait l’expérience. Il y a dans les écrits de Guerre de Maurice Genevoix une puissance épique et une profondeur tragique dont j’ai cherché la traduction théâtrale, en faisant attention de ne pas dénaturer pour autant la force de ce qui est avant tout un témoignage. Le jeune lieutenant est joué par Rémy Chevillard, qui porte ce récit à la manière d’un coryphée. Il est à la fois sa figure vivante et la voix de Ceux de 14, le fantôme d’une écriture. À ses côtés, Stanislas de la Tousche, incarne l’écrivain âgé qui en 1973 publie La mort de près et qui, à l’autre bout de la vie, revisite ses souvenirs de guerre et pose sur eux un regard plus apaisé.

Pourquoi avoir choisi, dans ce monument aux mille pages qu’est Ceux de 14 , cet extrait du livre Les Éparges ?
Ces pages se sont imposées d’emblée de par leur unité tragique. Au cœur des Éparges,se trouve le récit des journées du 17 au 21 Février, pendant lesquelles eurent lieu dans un périmètre restreint des combats d’une rare intensité. Le 17, Genevoix et son régiment reçoivent l’ordre de monter à la tranchée de Calonne, pour reprendre des positions allemandes sur la crête des Eparges. Il en revient miraculeusement vivant cinq jours plus tard avec quelques survivants. Unité de temps et de lieu. Cette tragédie commence de manière presque légère, on attend l’ordre de monter à la tranchée, le récit est très factuel puis se tend, rythmé par les minutes qui passent, les explosions de mines, le barrage d’artillerie, la charge d’infanterie, le tout vécu à hauteur d’homme. Très vite la mort survient, frappe au hasard, parfois juste à côté, décime, frôle Genevoix lui-même lorsqu’un obus explose entre ses jambes. Au cœur de ce récit, on trouve ce témoignage sublime d’humanité : un soldat moribond allongé sur le tas de ses camarades tués, sauve, par son seul regard, la vie de l’auteur en lui désignant avec une obstination désespérée le danger qui le menace. Cet épisode, évoqué à nouveau à cinquante ans de distance dans La mort de près, donne lieu à un récit poignant à deux voix.
La mort de près vient en contrepoint à Ceux de 14 pour éclairer de façon plus distanciée et réflexive le témoignage pris sur le vif. C’est une sorte de commentaire apaisé et serein à ce « récit de la passion » que constitue ce cœur tragique de Ceux de 14, ces cinq jours de calvaire sur la crête des Eparges.

Qu’apporte la confrontation du vieil écrivain face au jeune officier, que vous avez choisi de mettre en scène ?
Il y a quelque chose d’impossible dans cette rencontre, que seul le théâtre permet. Les rares regards qu’ils échangent n’en sont que plus chargés d’intensité. Le vieil écrivain reconnaît le jeune homme qu’il a été, et revisite ses émotions, ses souffrances pour en tirer une leçon de sagesse. Grièvement blessé deux mois après les évènements racontés dans le spectacle, Maurice Genevoix, se vidant de son sang, atteint les portes de la mort. Dans La mort de près, il revient sur cette expérience de sa propre mort mais aussi de la mort des autres, ses camarades, ou de celle des animaux dans la guerre (le cheval blessé), dont il nous transmet toute la dignité, la grandeur et le mystère.
À l’autre bout de la vie, il nous dit qu’il peut regarder en face le «moment du passage» avec une certaine sérénité, grâce à cette expérience douloureuse par laquelle il a acquis une sagesse prématurée et une acuité sur tout ce qui est de l’ordre de la vie et de la mort et qui sublimera tout ce qu’il écrira ensuite.

En plus de votre travail de mise en scène sur différentes pièces, vous avez publié deux ouvrages consacrés à la Première Guerre Mondiale : que nous apprend cette guerre, à un siècle de distance ?
J’ai idée d’une dette de mémoire, mais aussi d’une énigme relative à ma propre histoire familiale que je voulais explorer, le destin de mon grand-père. J’ai voulu comprendre ce que ressentaient ces hommes de vingt ou trente ans, quand j’ai atteint ce même âge, et cela me poursuit. Je me souviens d’un vieux combattant de 1914, un ami de ma famille, qui avait perdu un bras à Verdun, et qui arrivait chez nous lorsque j’étais enfant, avec son béret, comme sorti d’un autre temps. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ce vieillard avait vécu cela alors qu’il était jeune homme, que son appétit de vie, de séduction, d’action, tout ce que l’on désire à cet âge, avait été entravé. Ils voulaient mordre la vie, et ils ont mordu la boue. Cela m’a extrêmement ému, toute cette classe d’âge lancée dans la guerre.
Cette mémoire n’est pas totalement apaisée, elle poursuit son travail et continue de résonner dans de nombreuses familles. Les recherches historiques actuelles sur la Grande Guerre nous parlent surtout de notre temps. Le centenaire s’est intéressé surtout à l’aspect victimaire du conflit, aux oubliés, au rôle des femmes, au destin des troupes indigènes, au sort des mutins et des fusillés, aux soldats vus comme des victimes non consentantes, un troupeau téléguidé, brutalisé, considéré comme de la chair à canon.
Genevoix a écrit Ceux de 14 à une époque où le regard porté sur la défense du pays, de la patrie, la responsabilité assumée de ses propres actes en temps de guerre étaient tout autres. Il dit lui-même «je suis un guerrier » et assume sa position de combattant. Cela ne l’empêche en rien de poser un regard critique voire féroce sur l’absurdité de ce qu’il observe, sur les ordres aberrants qui menacent la vie des hommes. Mais il défend son pays avec la conviction intime qu’il fait son devoir.

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