JEAN-LUC JEENER vous parle de EN MODE PROJET

24 Sep 2019

Jean-Luc JEENER pour VALEURS ACTUELLES vous parle de « EN MODE PROJET »

Philippe Fertray ne fait pas vraiment du one-man-show comme les autres. Pour notre plus grand plaisir.

C’est toujours passionnant un comédien qui a vraiment quelque chose à dire sur la société et dont on a la quasi-certitude qu’il est sincère dans ses engagements. Avec Philippe Fertray, le monde du travail en prend un coup, et un sérieux. Il tape sur tout ce qui bouge avec un talent certain et un humour décapant. Les personnages qu’il incarne tour à tour avec tendresse et cruauté sont les victimes expiatoires de notre société de consommation. Ça commence par un fonctionnaire paresseusement assis à sa table qui perd son emploi, non à force de ne rien faire (ça ferait trop de chômeurs !), mais parce qu’il se met à créer du rêve. Il se retrouve à Pôle emploi entouré de petits camarades tous aussi paumés que lui, subissant les avis d’un conseiller qui fait de l’empathie obsessionnelle le plus sûr moyen de conforter chacun des candidats à reconquérir du travail dans sa médiocrité. Et, partant, d’endormir encore nos pauvres chômeurs qui ont totalement dépassé le seuil de la désespérance.

Le talent de Fertray faisant son œuvre, on croit à sa démonstration, tellement l’art de brasser du vent de l’animateur qu’il incarne semble une seconde nature. Fertray prend ensuite l’allure et la voix des pauvres malheureux qui sont candidats au vide sidéral de ce que Pôle emploi peut leur proposer. On est certes dans l’outrance, mais cette outrance est très drôle et même ravigotante. Il y a du Devos chez Philippe Fertray, pas un Devos qui se perd dans l’absurde, non, mais un Devos qui se noierait dans le réel. La force du spectacle est là. Pour dénoncer l’absurdité de notre société du travail, il suffi t à Philippe Fertray de grossir les traits sans être donneur de leçons. C’est l’humanité humiliée des personnages qui donne envie de souscrire à ses dénonciations. Comme chez Jacques Tati, l’individu enfermé dans sa poésie semble être la seule réponse à la violence du monde du travail. Un spectacle qui pourra faire frémir tous les syndicalistes de France qui croient encore au Grand Soir.

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