LE MONDE LIBERTAIRE vous parle de RIEN PLUS RIEN AU MONDE

29 Jan 2020

LE MONDE LIBERTAIRE vous parle de « RIEN PLUS RIEN AU MONDE »

Amandine ROUSSEAU était l’invitée de l’émission « DEUX SOUS DE SCENE » sur Radio Libertaire 89.4, le samedi 7 Mai 2016

Imaginez une page de journal à scandale, maculée de sang, épinglée sur un mur blafard d’une cité dortoir où seules claironnent quelques enseignes de supérettes. La jeune femme qui tient l’affiche revient du marché, elle porte une robe fleurie et les taches rouges qui colorent ses bras, ses mollets donnent à penser qu’elle a été éclaboussée par une teinture.

Nous comprenons très vite qu’elle est une fenêtre sur le monde à sa façon. Physiquement, elle est très acceptable, elle pourrait illustrer un spot publicitaire qui vante quelques articles de ménage. A condition de lui clouer le bec, ce qui n’est pas évidemment pas le propos de Massimo CARLOTTO qui brosse un portrait saignant d’une ménagère ordinaire en plein burn out.

« Moi femme » va-t-elle marteler tout le long d’un monologue terrifiant par sa crudité. Toute ce qu’elle raconte peut paraître improbable dans une société où il faut prendre soin de ne pas laisser s’exhaler les mauvaises odeurs, les mauvaises pensées, toute cette misère juste bonne à faire valoir les prodiges des produits de ménage.

Elle est pourtant bien rythmée la vie de cette femme de ménage qui passe sa vie à compter, à repérer les articles les moins chers, à regarder les émissions de télé réalité, qui rêve comme toute Madame Bovary d’avoir un amant, à grandes gorgées de vin rouge. Un amant qui s’appellerait ailleurs, qui l’extirperait de sa prison.

C’est une société pieuvre que décrit Massimo CARLOTTO à travers une de ses victimes sans nom, empoisonnée, sulfatée, asservie, devenue un monstre parce que toutes ses pensées n’ont plus de couleurs, et que dans son cerveau ne défilent que les étiquettes de discount, la peur de manquer, et l’horizon fatal d’un mari impuissant et d’une fille indécente.
Cette vision pathétique, impitoyable reflète pourtant bien nos réflexes ordinaires. Nous avons tellement vite fait de recouvrir les odeurs nauséabondes d’une serpillière en l’aspergeant de parfum à la lavande ! Cachez cette saleté que je ne saurais voir !

C’est une belle idée du metteur en scène Fabian FERRARI de faire incarner ce monstre par une jeune femme aussi fraîche qu’Amandine ROUSSEAU. Sa prestation met en évidence tous ces petits démons invisibles capables de faire plonger un individu quelconque. Curieusement, à notre corps défendant, ce personnage antipathique finit par émouvoir parce qu’il renvoie à la solitude, au sentiment d’impuissance, d’échec de tout individu dès lors qu’il prend conscience que ses rêves ne s’aligneront jamais sur sa réalité.

Une jeune femme qui souffre qui ne peut plus dire sa souffrance parce qu’elle est devenue un monstre. Cela nous concerne humainement nous dit le metteur en scène. Plutôt que de la juger, nous aurions envie de l’embrasser par instinct de survie, parce qu’elle est en danger. Elle ne s’aime pas, son cœur est devenu sec à cause d’une société qui consomme, consume l’individu, inhumaine ?
Un fait divers, un individu comme un grain de poussière fondu dans la masse, invisible, banal, c’est ce dont s’occupe le regard de Massimo CARLOTTO qui avance vers l’affiche déchirée de cette ménagère qui dit « Moi, femme… » sans faire de belles phrases, en ressassant juste cet ordinaire qui la conduit au néant.

Par la grâce du metteur en scène et la composition remarquable de la comédienne, nous sommes scotchés par ce cruel et éloquent témoignage !