PRESTAPLUME vous parle de MON FILS

18 Mai 2022

Jean-Philippe Bêche et Erwan Szejnok Zamor dans le spectacle « Mon fils » au Théâtre de la Contrescarpe à Paris

PRESTAPLUME vous parle de  » MON FILS « 

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La transmission d’un héritage familial et culturel
Prisonnier de son histoire, Srul Sheinaog est le dernier du nom, sa famille ayant été entièrement exterminée. Volontairement apatride au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il s’est fait appeler Jacques Duflot. Cet homme qui a survécu à la Shoah est resté seul avec sa peur de survivant, comme il l’expliquera à Pierre Lefrançois, le fils qu’il a refusé de reconnaître soixante ans plus tôt. Dans son testament, il demande à ce fils de le veiller une nuit, comme le veut la tradition juive. Une nuit fantomatique pendant laquelle deux êtres aux déchirures béantes vont s’opposer, s’apprivoiser et se pardonner. Dans « Mon fils », bouleversante pièce écrite, mise en scène et co-interprétée par Erwan Szejnok Zamor (au théâtre de la Contrescarpe jusqu’au 25 juin), la transmission d’un héritage familial et culturel est en jeu. Question universelle s’il en est, elle prend une dimension d’autant plus poignante lorsqu’il s’agit de celle d’un peuple martyr ayant souffert de la barbarie nazie. Mais une réconciliation est-elle possible, même par-delà la mort ?

L’impossibilité d’un être à trouver son chemin de résilience
Cette pièce revient sur une période terrible de notre histoire, dont l’écho de la souffrance se transmet encore de génération en génération. Erwan Szejnok Zamor est le petit-fils d’un homme ayant échappé aux rafles, à l’instar du personnage de la pièce qu’il incarne. Tout comme lui, son aïeul était le dernier du nom, avant de le transmettre. Mêlant tragédie familiale et fiction et empruntant au conte fantastique, il parvient à retranscrire avec justesse l’histoire commune des Juifs persécutés, qui a rendu orphelines des familles. Mais surtout l’impossibilité d’un être à trouver son chemin de résilience. Le traumatisme était trop grand pour Srul Sheinaog, la fracture intérieure était trop béante, la reconstruction impossible, le socle ayant volé en éclats. Lors de cette nuit magique, de la dernière chance, où son âme est encore présente, il décide d’apparaître à son fils pour lui expliquer les raisons de son silence, de cette fuite éperdue, de cette errance qui l’a amené à mentir et à se mentir. À ce refus de paternité, n’ayant pu lui-même devenir un « mensch », une personne attentive, sur qui on peut compter. Entre regrets et culpabilité, il lui racontera l’histoire de sa famille, Dieu qui est le Grand Tout et le symbole de la Kippa que son fils refuse de porter car laïc, mais aussi la rencontre avec sa mère et son refus de paternité.

Les cœurs se frottent, se consolent, se réchauffent
Réunis pour une seule nuit, la nuit de la dernière chance, ces deux êtres aux fêlures propres vont entamer ce processus essentiel de réparation et de deuil qui conduit à la paix. Chacun évoluant à son rythme. Pierre, de la colère au pardon. Srul, du vide à son comblement par la reconnaissance d’un père par son fils. Dans le rôle du fils révolté, Jean-Philippe dégage une puissance animale, mais écorchée vive. La fureur et la tristesse alternent, toujours avec la même intensité. Le comédien et le personnage ne font qu’un tant la douleur semble réelle, tant l’émotion semble le submerger. Par moments, brille dans ses yeux et son sourire l’enfant à qui on raconte une histoire extraordinaire. Voir et entendre ce grand gaillard baraqué évoquer ses blessures et ses espérances est très touchant. Quant à Erwan Szejnok Zamor, il parvient à donner une grâce aérienne à son personnage qui a traîné une vie entière le poids d’un drame personnel et collectif.
Dans la narration de l’histoire de Srul, il est plus que convaincant, il nous restitue ses frissons, le grand froid du vide qui a gelé son avenir, le cristallisant en lambeaux de vie impossibles à transmettre. Ce duel familial in extremis, où bat le rythme de l’urgence, est très beau et glaçant à la fois. Alors que chacun avance vers l’autre, prend le chemin de la reconnaissance de l’autre, les cœurs se frottent, se consolent, se réchauffent. La résilience est en marche, sans triomphe, mais avec gratitude.
L’histoire de « Mon fils » est sublimée par une recherche scénique et visuelle fouillée et inventive. Pour nous transporter dans un monde imaginaire, propre à accueillir un fantôme, mais aussi pour nous rappeler les camps de concentration, leur libération, le retour des survivants, l’hôtel Lutetia et l’affreuse et interminable attente des familles. Projetées en fond de scène, ces images de Marion Ducasse et Maxime Richard sont saisissantes. Quant à la composition musicale et la chorégraphie originale d’Erwan Szejnok Zamor, elle est spectaculaire. Alors que se dessinent au loin les barbelés des camps et les figures émaciées aux yeux vides, les deux personnages se positionnent face au public et font des pas de danse tout en se martelant fortement la poitrine au rythme de la musique. On pourrait presque entendre au loin la marche bottée des nazis, le roulement d’un train fou et même le galop infernal des cœurs effrayés. Beau dans l’analogie, tragique dans le symbole. Bien que le thème ait été traité maintes fois, l’originalité et la puissance de « Mon fils » sur l’influence du nom et l’importance de sa transmission font de cette pièce une œuvre unique tout en étant universelle, représentative d’une histoire commune.
Nathalie Gendreau

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