VANITY FAIR vous parle de JACQUES DE BASCHER

20 Sep 2022

Jean-Philippe Bêche et Erwan Szejnok Zamor dans le spectacle « Mon fils » au Théâtre de la Contrescarpe à Paris

VANITY FAIR vous parle de  » JACQUES DE BASCHER « 

Théâtre : Jacques de Bascher, «l’amant de», de l’ombre à la lumière
Au théâtre de la Contrescarpe, Gabriel Marc interprète Jacques de Bascher, l’éternel « amant de » Karl Lagarfeld et Yves Saint Laurent. La pièce permet de découvrir l’homme, ses envies et ses douleurs, derrière le mythe du sulfureux dandy.
Par Valentine Ulgu-Servant

Regard conquérant et sourire charmeur, le comédien Gabriel Marc toise le public. « Je suis donc “le” dandy ! »  Ainsi se définit son personnage, Jacques de Bascher, avec toute l’humilité qu’on lui attribuait de son vivant et la sobriété qui fait sa légende depuis sa mort. De lui, on ne connaît pourtant pas grand chose. Tout juste sait-on qu’il fut le compagnon de Karl Lagerfeld pendant dix ans et l’amant d’Yves Saint Laurent deux années durant. Cet éternel « amant de » revit au théâtre de la Contrescarpe, dans un spectacle qui porte son nom et le met en pleine lumière. On se dit qu’il aurait adoré l’idée, lui qui vécut dans l’ombre des grands de son époque. 

Sur scène, on le découvre dans sa baignoire. En 1984, Jacques de Bascher apprend qu’il est malade : atteint du virus du sida, il doit se résoudre à vivre reclus. Loin, bien loin des frasques qu’il partageait avec le gratin du Paris des années 70, dont il était roi. Gabriel Marc, acteur et auteur de la pièce, a choisi de raconter la vie de Jacques de Bascher par le souvenir : l’ex-mondain, malade, se remémore les temps forts de sa vie à haute voix et les enregistre sur une cassette destinée à Karl Lagerfeld. « Plutôt mourir que d’être oublié », s’exclame-t-il, non sans ironie. Voilà un dicton qui parle à son interprète : « Le regard des autres, la marque qu’on laisse, la disparition, l’oubli… Ce sont des questions qui résonnent en moi », reconnaît Gabriel Marc, qui nous retrouve au sortir de scène. 

Prince des nuits du tout-Paris
Face à la petite salle pleine à craquer du théâtre, Jacques de Bascher replonge dans ses années de gloire. Celles du Palace, où rien ne comptait tant que d’apparaître élégant et bien accompagné. Régulièrement, les noms de « Diane », « Loulou » et « Fabrice » reviennent dans son soliloque. Les initiés reconnaîtront-là l’aristocrate Diane de Beauvau-Craon, la mannequin star Loulou de Lafalaise et le patron du Palace, Fabrice Emaer. Tous membres du microcosme ultra-chic et sulfureux dans lequel évoluait Jacques de Bascher. De Paris à New York, celui-ci organise de folles soirées, où les performances sexuelles côtoient les déguisements suggestifs. En body bustier, porte-jarretelles et poses lascives, Gabriel Marc offre à son personnage une interprétation de I am what I am avec une verve digne des plus grandes divas. C’est bien simple, dans le texte, Jacques de Bascher se compare à un « oiseau majestueux battant des ailes dans le fracas de soirées parisiennes ». 

Pour écrire le livret, Gabriel Marc s’est lancé le défi de « borner dix ans de la vie » de son personnage, tout en romançant ce qui doit l’être pour le bien de la pièce. De Jacques de Bascher, aucune image animée et aucun son ne nous sont parvenus. Alors, qu’importe que l’acteur ne soit pas son sosie. Moustache, port altier, cheveux disciplinés, look soigné, l’affaire est jouée. Pendant plus d’une heure, il revêt un costume écru, un long imper fluide, un veston de tailleur, un marcel… Entouré d’un décor sommaire, il retient l’attention à lui tout seul. Une prestation que n’aurait pas renié son sujet. 

« J’avais une frise chronologique en tête […] La part de fiction vient de ce que je dis, des pensées que je lui attribue. Mais il y a des choses que l’on sait. Par exemple, la fameuse soirée chez Andy Warhol [où Karl Lagerfeld, Jacques de Bascher et Yves Saint Laurent étaient conviés] a vraiment eu lieu. Après, est-ce que c’est au cours de cette soirée-là qu’ils se sont engueulés ? On ne sait pas. » Pour assurer la part biographique, le comédien s’est plongé dans le livre écrit par Marie Ottavi, sous-titré Le dandy de l’ombre, et dans les deux films consacrés à YSL, signés Bertrand Bonello et Jalil Lespert. Il a également échangé avec Philippe Heurtault, photographe, auteur du livre Jacques de Bascher, éloge de la chute et, surtout, ami de Jacques de Bascher. « Je n’ai pas voulu disperser mes références parce que, d’une version à l’autre, on me parlait de lui comme d’un mondain peu agréable ou d’un type très sympa avec qui on pouvait manger des pâtes en tee-shirt », se souvient Gabriel Marc.  

« Karl, Yves, et moi »
Entre ces deux facettes du personnage, il y a le compagnon de Karl Lagerfeld. Les deux hommes se rencontrent en 1971. Le jeune mondain a 21 ans, le couturier en a 38. Le créateur allemand n’est pas représenté sur scène. Aucun interprète ne lui prête ses traits mais Gabriel Marc investit les planches du théâtre avec une telle aisance qu’on imagine sans peine le créateur, affairé à ses croquis sur son bureau, alors que son languissant compagnon s’appuie sur son épaule, s’étend par terre, ou défie du regard la fidèle assistante qui accapare « [s]on Karl ». Cet amour platonique le propulse dans le milieu de ses rêves : l’art, le beau, la mode, la poésie, « sans le moindre effort, sinon de suivre l’homme qu[‘il] aime ». Ne serait-ce pas une définition du luxe ?  Rien n’y fait, Jacques de Bascher ne s’en satisfait pas : « Certains diront que je n’ai aucune morale […] La séduction est l’un de mes passe-temps préférés », s’exclame-t-il, sourcil relevé, et main dans la poche. Plus Karl Lagarfeld connaît le succès chez Fendi, plus Jacques de Bascher se sent « potiche ». Il réalise une vidéo pour la maison mais son éternel fantasme de créer sa propre collection de mode masculine s’éteint au fil des années. Il a l’impression de n’être qu’un « cobaye de tendances », avoue-t-il, amer. Pour habiller cette icône, autant muse et fashion victim, Gabriel Marc a puisé son inspiration dans ses années d’études à la Chambre syndicale de la couture parisienne. « J’ai toujours adoré la mode. J’étais très mauvais mais j’adorais le travail de Saint Laurent. Pour moi, c’est un vrai révolutionnaire. La cape jaune que j’utilise pour le spectacle est une réplique de Saint Laurent que j’ai confectionnée moi-même », ajoute-il avec un sourire. 

Après Karl, il y eut Yves, et leur histoire foudroyante. Jacques de Bascher le rencontre en 1973 ; ils se plaisent instantanément. Avec Yves Saint Laurent, le jeune homme vit ce que son couple avec Karl Lagefeld ne lui offre pas : sexe, alcool et drogues en tous genres. Entre eux, Pierre Bergé prend la mesure du triangle amoureux que devient leur couple (et leur entreprise); il s’évertue à étouffer cette relation tumultueuse. Pour Gabriel Marc, cette configuration sentimentale et sexuelle a tout d’une « tragédie » :  « Si c’était nous, comment aurions-nous fait ? Comment on dénoue ce problème de “Je suis avec Karl, je l’aime d’un amour inconditionnel, mais je suis rattrapé par mon égo, mon ambition, parce que je suis en permanence derrière un homme plus grand que moi” ? » De quoi faire rougir les plus grands tragédiens grecs. Pour mieux rendre compte de cette douleur, la metteuse en scène Guila Braoudé a tout de suite adopté le format seul en scène proposé par le comédien. « C’est mon plus gros projet. Fin 2017, j’avais plein de pages d’idées en vrac. Plein de gens me disaient même d’en faire un film ! Moi, je préférais confronter le personnage à sa solitude. Guila m’a suivi dans cette volonté d’auteur. »

Ni Saint ni démon
Avec sa pièce, Gabriel Marc accorde une forme de rédemption à Jacques de Bascher, que l’on dépeint bien facilement comme l’amant toxique et (auto)destructeur par excellence. Fruit de ses recherches, d’une certaine fascination ou d’une simple tendresse pour le personnage, difficile à dire. Quoi qu’il en soit, dans la bouche du comédien, le sulfureux mondain devient « ce pauvre garçon » : « Ce garçon, ça n’est tout de même pas Hitler ! Il a juste été guidé par ses pulsions, ses envies. Quand il rencontre Karl, il a 21 ans. Moi, à 21 ans, quand j’allais chercher une baguette de pain, j’étais en stress et je transpirais», plaisante-t-il. Cette seule mise en perspective a suffi à faire germer l’idée du spectacle son esprit : « J’ai eu le déclic en réalisant qu’il est mort très jeune [en 1989, à 38 ans, ndlr] et que tout ce que je lisais sur lui le faisait passer pour un démon. C’est facile de parler de quelqu’un qui est mort, souligne-t-il. Moi, j’avais envie de le faire parler lui, par divagations. Et qu’on arrête d’en parler comme d’un gigolo, un profiteur. Sans en faire un Saint pour autant. »
Xavier de Bascher, frère du protagoniste de la pièce, a été sensible à cet engagement : « Ça a été très émouvant pour moi de le rencontrer au sortir d’une représentation. Il avait des craintes et finalement, il a été ému. Il m’a remercié de ne pas avoir fait de son frère un gigolo, comme ça a beaucoup été dit. »
Une ligne du livret dit tout du personnage, et de l’intention de l’auteur : « Mon œuvre c’est moi, c’est la seule chose que je sais faire ». Trente-trois ans après sa mort, alors qu’on tente péniblement de faire perdurer le dandysme par l’esprit rétro et vintage, un passionné de mode et de théâtre consacre sa première grande œuvre à Jacques de Bascher. Preuve, s’il en fallait, qu’une figure de l’ombre peut traverser les époques. 

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